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UTILISATION ET DRESSAGE DES MULETS

  • Photo du rédacteur: Mules Qui peut
    Mules Qui peut
  • 11 oct.
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 oct.

Olivier Courthiade “Ecole des Mulets de la Ferme de Méras"

Chargé de préside de la Fédération Nationale de Elevage d’Ânes et de Mulets


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 Merci à Olivier Couthiade pour le partage de ce texte, témoignage d’une autre époque et d’une belle expérience du terrain.

Les méthodes et les approches ont évolué, mais ces souvenirs restent précieux : ils racontent l’histoire, la passion et le savoir-faire des muletiers d’hier, qui ont ouvert la voie à ceux d’aujourd’hui.


Ma carrière hippique a débuté très jeune au Jardin des Plantes de Toulouse sur le dos d’une ravissante ânesse Gasconne répondant au nom, noble s’il en fut, et qu’elle assumait fort bien, de Marquise”. Quarante cinq ans plus tard, son odeur âcre, l’infinie bonté de ses yeux et l’immense bonheur qu’elle a suscité, demeurent ineffables. Cela me prédestinait sans doute à la suite…


Je n’ai évidemment pas subi les épreuves du monitorat d’équitation à dos d’âne, mais Marquise” et la douceur de ses yeux m’ont séduit à jamais. D’autre part le sort a voulu que j’effectue mon service militaire dans l’ultime peloton de Remonte militaire du 541ème groupe/ vétérinaire de Tarbes, du quartier Foix-Lescun jouxtant le dépôt d’étalons (classe 74/12).

J’ai assumé les fonctions de cavalier de Remonte et de muletier militaire, sanctionnées par un beau certificat… sans doute le plus honorable diplôme dont je puisse m’enorgueillir !

A ce bref passage sous les drapeaux, j’ai retiré un grand nombre d’enseignements, parmi lesquels une étude de mœurs “in vivo” sur le jeune humain et sur le genre equus-asinus, plutôt en faveur, disons-le tout de suite, du deuxième groupe…


L’expérience muletière, tout comme le contact de Marquise, m’ont marqué de façon indélébile. La sensibilité, l’intelligence, la beauté de ces animaux hors du commun m’ont d’emblée fasciné, d’autant que le contact n’était pas évident. 

En effet, brutalisés trop souvent par des mains inexpertes voire malignes ou vicieuses perpétuellement renouvelées au gré de l’arrivée de jeunes recrues, ces animaux inspiraient la compassion à tout homme digne de ce nom… Passons les horreurs

 Quant aux anecdotes superbes, et pour ceux que cela intéresse, j’en ai consigné quelques-unes dans un article intitulé “La mule : une tête”, paru dans le journal mensuel Cheval Loisirs”. Bref… Le virus Mule était contracté à jamais.

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C’est ainsi que, tout naturellement, le Syndicat des Producteurs d'Équidés du Courserant (09140 Seix) m’a sollicité en 1988 pour animer un programme de production mulassière des Pyrénées, subventionné par le Conseil Régional Midi-Pyrénées et piloté par la Direction du Haras National de Tarbes. Refaire des mulets en Ariège équivalait à jeter des copeaux secs sur des braises : le savoir-faire, le goût, la passion y étaient. Avant-guerre, autant dire hier, naissaient un millier de muletons l’an dans le département de l’Ariège ! Quasi exclusivement vendus en Espagne. Le “hic”, et c’est bien pour cela qu’on fit appel à moi, c’est que les espagnols n’achetaient plus et qu’il fallait produire un animal de 3 ans “clé en main” au lieu d’un muleton sauvage, pour s’adapter au nouveau contexte, plus “loisirs” que “labeur”... Ainsi fut fait, et mes écuries virent arriver en 1988 dix petits Lombards hirsutes. Le coup d’envoi d’un programme de 10 + 2 ans était donné et L’École des Mulets de la Ferme de Méras, fondée.


J’avais la prétention d’en connaître un petit rayon, fort de mon expérience chevaline et militaire… J’en ai, depuis, appris beaucoup…


La force, la ruse, la capacité de résistance de ces jeunes muletons m’a tout autant exaspéré, découragé, déconcerté que séduit. Comment leur faire comprendre, d’abord que je n’étais pas un ennemi, et qu’ensuite il fallait accepter mes règles ?  Un vrai défi. Là, l’expérience du dressage des bœufs (plus de 2 tonnes contre 55 kg à l’époque…) m’a servi en vérité plus que celle acquise auprès des chevaux. Il est clair que l’emploi de la force est impossible, le rapport est trop inégal… César, grand stratège s’il en fut, m’a également inspiré. Il avait pour règle d’utiliser, à son profit, les méthodes de ses adversaires (qu’il avait tôt fait d’enrôler une fois la confrontation passée…)


Il me fallut donc apprendre à être plus rusé, plus résistant, plus opiniâtre que les mulets eux-mêmes… Autrement dit, m’imposer comme le dominant, c’est à dire celui qui est élu par les dominés reconnu par eux comme étant celui en qui on peut avoir confiance parce qu’il sait.

En passant, nos politiques pourraient s’inspirer des règles en vigueur dans les sociétés animales… Cela pourrait changer la donne…

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Bref, être élu Roi des Mulets n'est pas chose facile, mais bien incontournable si l’on prétend se faire entendre. Cela suppose une qualité majeure : la justice, très proche de la justesse. Un mulet peut accepter les plus dures réprimandes quand il sait qu’il a fauté. Par contre, un mot plus haut que l’autre, et à plus forte raison des coups, sont immanquablement, un jour ou l’autre, sanctionnés par des actes de vengeance (confère la légende de La Mule du Pape).


Fort de ces principes… Comment passer à l’acte, en l'occurrence de dressage ? Je passe sciemment sur les phases d’acclimatation, de domestication, d’apprivoisement, semblables dans toutes les espèces et qui se résument à 2 principes : 

1° / l’acceptation de l’attache (le redoutable point fixe), et

2° / le “tripatouillage” de toute part.

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Passons aussi rapidement sur le fait que les mulets, tout comme les chevaux d’ailleurs, sont rarement élevés dans les règles de l’art. On se préoccupe généralement d’eux quand, selon l’expression consacrée, “il faut les faire partir”, c'est-à dire les vendre, parfois plusieurs années après leur naissance. Ce n’est pas à 20 ans qu’on apprend à se tenir à table, se moucher et dire bonjour… ou du moins c’est beaucoup plus difficile que lorsque ces notions, basiques mais indispensables, ont été acquises dans la petite enfance.


Je n’hésite pas à affirmer qu’un mulet de 3 ans jamais touché est une véritable bombe amorcée, s’il en a envie… Tous mes collègues muletiers seront unanimes.


J’en arrive donc au particularisme lié sans doute à l’hybridation. J’affirme qu’en dehors de la formule génétique liée à l’ethnie des mères (juments de sang ou de trait, ponettes, trotteuses ou galopeuses, rustiques ou de sports, etc…) Il existe deux grands types de mulets, d’un comportement fondamentalement différent : les mulets-ânes et les mulets-chevaux. Le distingo est aisé : les 1ers ont la croupe anguleuse, dite en hippologie “croupe en feston de mulet”, les seconds affichent une croupe ronde et comble. Selon l’une ou l’autre conformation, le comportement est radicalement différent : Ceux qui “tirent” de l’âne offrent d’énormes résistances dans l’encolure, la nuque et la bouche, ils répugnent à adopter des allures vives. Ceux qui tiennent du cheval, travaillent volontiers aux allures sur le cercle, et offrent beaucoup plus aisément leur bouche. Ils peuvent fournir des montures fort agréables et de brillants carrossiers sans toutefois "trousser" quoique je n’ai jamais vu de mulets issus de jument Hanovrienne ou Frisonnes… ils pourraient étonner, surtout si leur père est un Catalan, sanguin à l’extrême..




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Il va de soi que les méthodes de débourrage seront très différentes selon que l’on a à faire aux mulets chevaux ou aux mulets ânes. Les premiers s’accommodent parfaitement des méthodes couramment et classiquement pratiquées chez les chevaux. Quant aux seconds, leur mise au travail est grandement facilitée, dans les débuts, par l’emploi courant sur la péninsule Ibérique et toute l’Occitanie, du joug. Ce joug dit “joug landais” ou échelle, est constitué de deux barres de frêne ou d’acacia (les “pelles” supérieures et inférieures) percées de 3 ou 4  mortaises symétriques par lesquelles passeront de fortes courroies encadrant le collier et réglant l’écartement des mulets. Ces barres sont assemblées par deux montants du même bois au milieu desquels se fixe un fort anneau ou manille de fer (la moulade) destinée à cheviller le timon ou attacher le trait.

Des plaques d’usure, côté colliers, un crochet de reculement à l’opposé, parfois quelques passants de cuir ou crochets destinés à porter des outils en forêt Sapi, hache, merlin, etc…) complètent cet instrument. L’emploi du joug landais ne se conçoit pas sans des outils spéciaux dits “colliers landais”, constitués de gros coussins de paille de seigle renforcés de crin et venant s’encastrer dans deux porte-attelles de platane et revêtus de plaques d’usure. Pour maintenir le joug, ces colliers sans tête sont surmontés d’un cylindre de fer (la “main” ou “crémaillère”) dans lequel on enfile la pelle supérieure du joug d’abord pour la mule droitière immobile, puis sur la gauchère, mobile sur ordre.


Cet harnachement, extrêmement astucieux, a le mérite d’une très grande simplicité. Il supprime brides, guides, sellettes et avaloires ! Rien que cela ! Il ne peut être employé qu’avec les ânes et les mulets hors du terrain plat, en raison de la rigidité de leur encolure (ce défaut devient ici une qualité). Les chevaux s’accommodent très bien du procédé, à condition de ne pas avoir à retenir. La seule difficulté réside dans la forme particulière du collier.

Signalons au passage qu’un seul maître bourrelier, en retraite aujourd’hui, âgé donc, possède ce savoir-faire, au monde. Les Haras Nationaux, interpellés depuis plus de cinq années régulièrement, n’ont pas jugé utile de s’intéresser au sujet alors qu’ils recèlent dans leurs dépôts d’étalons pas moins de deux écoles de sellerie/bourrellerie…

Je rappelle qu’en dehors des mulets, certes peu nombreux à travailler selon ce mode, tous les ânes sont concernés… et qu'au-delà de nos besoins nationaux, un grand nombre de pays en voie de développement pourraient être aidés par cette technique simple de traction animale.


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Au niveau du dressage, l’énorme avantage de l’emploi du joug (idem d’ailleurs pour les bovins) est de solidariser les deux “apprenants”. Cela limite considérablement les escapades individuelles et constitue une coercition importante et “non violente”.


Le fouet ou l’aiguillon sont employés comme “bâton de commandement”, essentiellement d’ailleurs pour mettre en place le dressage à la voix auquel les mulets sont si sensibles. Affaire de coutume. Les Basques aiguillonnent, les Landais fouettent, le principe est le même et correspond à la loi suivante: l’animal “va au mal”, c'est-à dire se porte en avant dès qu’il est sollicité par la piqûre. Il va de soi que le dresseur doit faire preuve de beaucoup de tact pour ne pas révolter les élèves. Lorsque cette leçon est acquise (elle est fondamentale puisqu’elle conditionne l’impulsion) la vue du fouet en direction du poitrail suffit pour obtenir la marche en avant, assortie bien sûr de l’ordre vocal.

Pour obtenir le déplacement des hanches (pour se plaquer ou au contraire s’éloigner du timon ou pour enjamber le trait par exemple) il suffit d’utiliser le fouet en dedans ou en dehors. Là encore l’apprentissage est extrêmement rapide, grâce au joug. Le reculer est plus difficile à obtenir, il ne faut en aucun cas le demander les premières leçons. Il s’obtient en sollicitant les oreilles, zone sacrée, particulièrement sensibles chez le mulet. Cette opération doit être faite avec beaucoup d’habileté, dans le plus grand calme et en se contentant de peu au début, d’un seul pas. Se met rapidement en place un jeu d’attraction-répulsion que connaît chaque muletier et bouvier du monde : ce sont les fameuses notions des “bulles” ou des “auras” développées par nos éthologues modernes.


Une fois l’animal rodé au joug, il devient beaucoup plus facile de l’intégrer au débourrage classique si l’on doit utiliser guides selles ou bât, car “le dominant est en place”, en partie grâce au joug.


J’ai beaucoup parlé de tact, d’habileté, d'opiniâtreté…

C’est ici que réside le facteur limitant de l’emploi du mulet.

L’air du temps n’est pas à la rigueur, à l’apprentissage, à l’humilité, à la difficulté… On veut aujourd’hui tout savoir en  leçons, sans rien payer (hormis le manuel et encore…) et surtout en ne payant pas de sa personne. Cela n’est pas compatible avec l’emploi d’animaux perfectionnés, intelligents, sensibles.

Le “sens animalier” (savant mélange de don d’observation, de tact, de sensibilité, de prévenance, de divination, de justesse et bien d’autres qualités encore, dont l’instinct et l’autorité, sont indispensables si l’on veut vivre en bonne intelligence avec les mulets. De mon avis ces qualités sont innées. Les stages et formations diverses ne peuvent que développer cette sorte de don, en aucun cas le créer.

C’est l’affaire du Créateur !


Quant aux emplois du mulet, ils sont rigoureusement les mêmes que ceux du cheval. Rien d’étonnant à ce qu’une mule issue d’une jument galopeuse galope, qu’une mule issue d’une poulinière trotteuse trotte, qu’un mulet sorti du ventre d’une jument de trait tire, etc…

Seuls des préjugés, des coutumes ou des routines freinent (en dehors des qualités nécessaires au muletier, voir paragraphe précédent) son emploi. 

Le mulet n’a pas la cote en France. On le dit, sans rien en connaître bien sûr, petit, hirsute, entêté, méchant et bon porteur en montagne.

En Espagne, bien que rudoyé, il est beaucoup mieux considéré et certains ganaderos n’hésitent pas à s’en servir de monture.

Aux USA, pays neuf et non conformiste, reconnaissant envers celui qui lui a permis la conquête de l’Ouest, le mulet est entouré d’égards, et de “grandes messes” lui sont consacrées.

Quel que soit le pays où il est élevé, cet hybride de génie, quoiqu’on en dise, vit beaucoup plus vieux, mange beaucoup moins, est bien moins fragile que le cheval. Il faut donc se rendre à l’évidence : le mulet représente le summum de la Civilisation du Cheval !


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Depuis 1988, date de sa création, plus d’une centaine de mulets et mules, essentiellement Pyrénéens, mais aussi Andalous, Seynards, Savoyards ou Poitevins y ont fait “leurs humanités”...

Grosso-modo leur destination se répartit en 

30% viticulture

30% forêt-agriculture

20% voyage au long cours (roulotte, bât, monture)

20% loisirs divers, spectacles, animations


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